La Controverse du Récit National à propos de la Bataille de Gelibolu: Décryptage avec Ahmet Ümit

L’année 2015 a marqué un tournant dans la mémoire collective turque. À l’occasion du centenaire de la Bataille de Gallipoli, connue en Turquie sous le nom de “Çanakkale Savaşı”, une intense polémique a éclaté autour de ce qu’on appelait alors le “récit national” de l’événement.
La Bataille de Gallipoli, livrée entre avril 1915 et janvier 1916, opposa les forces alliées (Royaume-Uni, France, Australie, Nouvelle-Zélande) à l’Empire ottoman. Les Alliés cherchaient à forcer le détroit des Dardanelles pour atteindre Constantinople et défaire l’empire. La bataille, qui dura près de dix mois, fut un désastre pour les Alliés, avec des pertes humaines considérables dépassant les 250 000 morts.
Cependant, en Turquie, la bataille était traditionnellement présentée comme une victoire éclatante du courage ottoman face à la puissance impérialiste. Le récit dominant mettait l’accent sur le héroïsme des soldats turcs et leur détermination à défendre leur terre. Il célébrait Mustafa Kemal Atatürk, alors commandant de division, qui deviendrait plus tard le fondateur de la République turque, comme un stratège militaire brillant et un symbole d’inspiration nationale.
En 2015, à l’approche du centenaire de la bataille, Ahmet Ümit, un romancier et essayiste turc renommé, a lancé une critique virulente de ce récit national traditionnel. Dans son essai “Çanakkale Savaşı: Tarih, Bellek ve Mit” (La Bataille de Gallipoli : Histoire, Mémoire et Mythe), Ümit argumentait que la narration officielle masquait la réalité complexe de la bataille.
Selon Ümit, le récit glorificateur minimisait les pertes turques, exagérant le rôle d’Atatürk et occultant les erreurs stratégiques de l’Empire ottoman. Il affirmait que cette vision biaisée servait à entretenir un nationalisme exacerbé et une image idéalisée du passé turc.
L’intervention d’Ümit a déclenché une vive controverse en Turquie. Ses propos ont été accueillis avec scepticisme par certains historiens qui défendaient la version traditionnelle de la bataille. D’autres, cependant, saluaient son courage à remettre en question les idées reçues et à appeler à une analyse plus nuancée de l’histoire turque.
La polémique autour du “récit national” souleva des questions essentielles sur la manière dont un pays traite son passé.
- Comment équilibrer le patriotisme avec la quête d’une histoire objective ?
- Faut-il privilégier une vision héroïque ou reconnaître les erreurs et les tragédies de l’histoire nationale ?
- Quelle est la responsabilité des historiens dans cette démarche de vérité et de réconciliation?
Il est intéressant de noter que, parallèlement à la polémique lancée par Ahmet Ümit, le centenaire de la bataille a également été marqué par une série d’événements commémoratifs officiels en Turquie. Ces événements étaient souvent empreints d’un ton solennel et patriotique, mettant l’accent sur l’héroïsme des soldats turcs et la victoire morale de l’Empire ottoman.
Cette double approche – critique d’un côté, célébration de l’autre – reflète la complexité du rapport que la Turquie entretient avec son histoire. Le pays semble tiraillé entre le désir de se souvenir de ses exploits passés et la nécessité de confronter les aspects plus sombres de son héritage.
En conclusion, la controverse autour du “récit national” à propos de la Bataille de Gallipoli illustre la difficulté de concilier mémoire nationale et vérité historique. Ahmet Ümit, en remettant en question la version officielle des événements, a contribué à ouvrir un débat nécessaire sur la manière dont la Turquie peut aborder son passé avec honnêteté et discernement.
Il est important de souligner que la bataille de Gallipoli reste un événement traumatisant pour les deux camps. Les pertes humaines furent considérables et ont laissé une profonde cicatrice dans la mémoire collective.
Camp | Nombre approximatif de morts |
---|---|
Alliés | 100 000 |
Empire ottoman | 86 000 - 250 000 (chiffres incertains) |
La bataille a également eu un impact profond sur l’évolution politique et militaire de la région. Elle a contribué à affaiblir l’Empire ottoman, ouvrant la voie à sa chute quelques années plus tard. De son côté, la victoire morale des Turcs a renforcé leur sentiment d’identité nationale et a contribué à forger le mythe d’Atatürk comme héros national.
Aujourd’hui, la Bataille de Gallipoli continue d’être un sujet sensible en Turquie. Elle suscite encore des débats passionnés sur la manière dont il convient de se souvenir de ce conflit sanglant et de ses conséquences durables.